Grèce, berceau d’un autre monde ...
Pour un soutien au combat du peuple grec et pour une libération immédiate des
manifestants emprisonnés.
Non, bien que dramatique, ce qui se déroule en Grèce
n’est pas une catastrophe. C’est même une chance. Car le pouvoir de l’argent a,
pour la première fois, dépassé allègrement le rythme jusque-là progressif,
méticuleux et savamment organisé de la destruction du bien public et de la
dignité humaine. Et ce, sur une terre aussi réputée pour sa philosophie de vie
aux antipodes du modèle anglo-saxon que pour sa résistance inlassable aux
multiples oppressions qui ont tenté de la mettre au pas. Le Grec ne danse pas et
ne dansera jamais au pas de l’oie ni en courbant l’échine, quels que soient les
régimes qu’on lui impose. Il danse en levant les bras comme pour s’envoler vers
les étoiles. Il écrit sur les murs ce qu’il aimerait lire ailleurs. Il brûle une
banque quand elle ne lui laisse plus les moyens de faire ses traditionnelles
grillades. Le Grec est aussi vivant que l’idéologie qui le menace est mortifère.
Et le Grec, même roué de coups, finit toujours par se relever.
Oui, l’Europe de la finance a voulu faire un exemple. Mais, dans sa hargne à
frapper le pays qui lui semblait le plus faible dans la zone euro, dans sa
violence démesurée, son masque est tombé. C’est maintenant, plus que jamais, le
moment de montrer du doigt à tous son vrai visage : celui du totalitarisme. Car
il s’agit bien de cela. Et il n’y a qu’une seule réponse au totalitarisme : la
lutte, tenace et sans concession, jusqu’au combat, s’il le faut, puisque
l’existence même est en jeu. Nous avons un monde, une vie, des valeurs à
défendre. Partout dans les rues, ce sont nos frères, nos sœurs, nos enfants, nos
parents qui sont frappés sous nos yeux, même éloignés. Nous avons faim, froid,
mal avec eux. Tous les coups qui sont portés nous blessent également. Chaque
enfant grec qui s’évanouit dans sa cour d’école nous appelle à l’indignation et
à la révolte. Pour les Grecs, l’heure est venue de dire non, et, pour nous tous,
de les soutenir.
Car la Grèce est aujourd’hui à la pointe du combat contre le totalitarisme
financier qui partout dans le monde détruit le bien public, menace la survie
quotidienne, propage le désespoir, la peur et la crétinisation d’une guerre de
tous contre tous.
Au-delà d’une colère émotionnelle qui se défoule en détruisant des symboles
d’oppression, se développe une colère lucide, celle de résistants qui refusent
de se laisser déposséder de leur propre vie au profit des mafias bancaires et de
leur logique de l’argent fou. Avec les assemblées de démocratie directe, la
désobéissance civile, le mouvement «Ne payons plus» et les premières expériences
d’autogestion, une nouvelle Grèce est en train de naître, qui rejette la
tyrannie marchande au nom de l’humain. Nous ignorons combien de temps il faudra
pour que les peuples se libèrent de leur servitude volontaire, mais il est sûr
que, face au ridicule du clientélisme politique, aux démocraties corrompues et
au cynisme grotesque de l’Etat bankster, nous n’aurons que le choix - à
l’encontre de tout affairisme - de faire nos affaires nous-mêmes.
La Grèce est notre passé.
Elle est aussi notre avenir.
Réinventons-le avec
elle !
En 2012, soyons tous Grecs !
Par Raoul Vaneigem, médiéviste belge et ex-membre de l’Internationale situationniste, est l’auteur du «Traité de savoir-vivre àl’usage des jeunes générations», paru en 1967. et Yannis Youlountas, philosophe, écrivain franco-grec.